villefontaine est une femme

Printemps

J’arrive à Villefontaine au printemps,  Maman nous dit que la nature nous ferait un peu de bien.
Petites, fragiles, silencieuses et solitaires, Villefontaine est une petite fille, moi aussi.
Le fond de l’air est frais et tout y est nouveau : les fourmis, les crapauds, les oiseaux et tout le reste aussi.

Ensemble on découvre le monde et, avec son oeil attendri,
Elle nous raconte tout, de ses fruits et de leurs corbeaux, 
Et m'appelle par toutes sortes de noms : ma figue, ma loutre, ma chatte, ma lune.
Elle a la tendresse et le calme de l’enfance tranquille.

Villefontaine est une petite fille,
Ou bien encore un petit garçon,
C’est un oiseau qui ne se pose pas assez de questions,
Qui vole à travers champs, forêts, passages piétons
Et construit des cabanes de rires et de vent frais.

été 

Et puis vient l'été, 
Le temps est long et on crève de chaud, 

Villefontaine est une adolescente
Que personne ne désire et que tout le monde connaît ;
On n'a pas le droit à l'anonymat sur des terres si petites.
Et quand elle s’endort, ne nous laisse que ses petits étangs vaseux 
Pour nous occuper et nous rafraîchir.

Villefontaine : ville dortoir, ville béton, ville fleurie, ville forêt,
Ville ouverte et pourtant loin du monde, blocs de bétons et rien autour.
C’est une maison, une prison, un terrain vague
Dont on a fait un terrain de jeu,
C’est un non-lieu, que l’on traverse mais que l'on ne regarde jamais.
C’est une adolescente que personne ne désire, que tout le monde parcourt 
Sans inquiétude, en rond, en long et en large et en travers,
Les pieds dans la terre et la boue fatiguee des chemins de campagne.

Elle avait la bouche en figue 
Les seins en collines
Les jambes en autoroutes 
Et c'était dans son coeur qu’habitait la violence
Son coeur de béton et de parkings à l'asphalte brûlant

Automne

Elle porte dans ses bras, en automne, les crapauducs, 
Les renards écrasés sur le bord des chemins, 
Et l'arrivée des chiens.
Et puis nous aussi, un peu, toujours à bouts de bras, toujours à demi-mot.

Villefontaine est une femme 
Qui ouvre sa porte aux chiens, aux loups, aux requins et aux vautours
Et qui la ferme au nez de ceux qui viennent y chercher le repos.
Villefontaine est une femme pour qui rien n’est sacré 
Qui laisse ses figues moisir 
A la proie des enfants mal élevés.

Villefontaine est une mere qui ne voulait pas l'être
Et c’est contre son gré
Qu’elle a nourris, accueillis, élevé ses chiens 
Plus qu’elle n’a protégé ses filles.

Hiver

Villefontaine est une mere qui n’a jamais trouvé les bons mots 

Et puis en hiver, elle ne parle plus :
Elle ne nous laisse que ses terres froides de vent et de silence 
Et ses rues vides que l'on connait par coeur.

Chaque recoin abrite un souvenir
Sur la peau de ses rues les stigmates de nos histoires
Et sous la mienne les fourmis qui ne cessent de grouiller 
Les figues pourries tombées de l’arbre du voisin
Les mégots de nos premières cigarettes
Et puis 
Plus rien.

Villefontaine est une mere,
Bourreau et victime, maison du calme et de la colère, 
Maison du rien, du silence, d’un silence sans paix.
Villefontaine est une mere 

Que j’ai quitté brusquement, sans jamais y retourner 
Et qui me fend le coeur, comme une blessure, encore un peu ouverte.
Villefontaine est une mere qui ne me parle pas,
Qui ne m’a jamais regardé dans les yeux 
Qui ne m’a jamais vue, ni adulte, ni apaisée.

Si je suis partie de Villefontaine,
Villefontaine n’est jamais partie de moi 
J’ai pas beaucoup changé, j’ai juste tu sa colère.

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faire de l’art pour panser l’insurmontable gravité du monde